La science et le développement définissent, dans le monde actuel, un enjeu qui nous paraît tout à fait clair.
TI s'agit de faire passer, en l'espace de quelques décennies, les pays du Tiers Monde, et jusqu'aux moins avancés
d'entre eux, à un état de développement économique et social que l'on-ne sait pas encore définir parfaitement
mais qui devra être jugé satisfaisant par les intéressés eux-mêmes comme par l'opinion EVENEMENTSe.
Ce qui nous intéresse ici, c'est l'idée très généralement admise que le" développement lui-même doit être
accompagné et soutenu par le progrès scientifique. Sans doute quelques propos discordants se font-ils parfois entendre.
Certains prétendent que la recherche scientifique est complètement inutile aux pays encore peu avancés.
En réalité, cette proposition constitue un exercice théorique et provocateur, plus qu'une conviction réelle.
Qui prendrait le risque de priver certains pays de tout travail scientifique? -Science et développement
sont et doivent rester liés. Vers les années 1960, au moment de la Conférence de Lagos (1964) notamment,
la voie à suivre pour les pays en développement paraissait toute tracée. TI fallait créer des structures
de recherche là où elles n'existaient pas encore et, dans tous les cas, chaque pays se devait de multiplier ses efforts,
et de consacrer à la recherche-développement une part significative de son produit national. Dix ou quinze ans plus tard,
les perspectives se sont sérieusement compliquées. Dans les années qui ont * Directeur de recherche à l'Institut français
de Recherche scientifique pour le Développement en Compétions, Département « Conditions d'un Développement indépendant lt.
R,pu, Tiers Monde. t. XXVII, no 105, Janvt....1Ian 1986 précédé et suivi la CNUSTED de Vienne (1979) de nouvelles idées directrices se sont affirmées.
L'accent a été mis sur les capacités scientifiques endogènes, on a parlé de développement autocentré. On a laissé entendre qu'il devait
y avoir aussi une recherche propre au Tiers Monde, et l'on a préconisé par exemple une Université authentiquement africaine. Dans la réalité
du travail scientifique, qu'y a-t-il eu de changé par ces nouvelles perspectives ? TI semble bien que la question fondamentale soit restée ouverte.
Aucune stratégie à long terme de la recherche scientittque des pays du Sud n'a été définie. Ne voyant pas très bien vers quel type de développement
il faut se diriger, on conçoit encore moins bien quelle est la stratégie scientifique qui va y conduire. Affirmer que chaque pays
ou chaque peuple doit trouver sa propre solution ne constitue qu'une échappatoire. Aussi, faute de pouvoir donner des directives ou des orientations nouvelles,
on continue à gérer, à programmer, à coordonner la recherche à peu près comme par le passé. Sans doute l'attention se porte-t-elle sur certains problèmes particuliers: l'exode des compétences, par exemple. Les objectifs scientifiques se déplacement également: au bénéfice de technologies douces, ou de technologies appropriées, quand cela paraît possible. En tout état de cause, la recherche est soumise à un pilotage finalisé très strict et qui reste à court terme. La. vision générale de la science, son assujettissement au développement, restent les mêmes. TI faut donc poursuivre le débat. La liaison de la science et du développement pose un problème tout autant théorique que pratique. Ce serait une faute que d'abandonner la réflexion théorique, le débat d'idées, sous la pression de problèmes concrets et immédiats, et du fait d, l'incertitude de toute prospective générale. La communauté scientifique EVENEMENTSe le comprend d'ailleurs très bien: onse perdrait à vouloir recenser tous les congrès, colloques, séminaires ou tables rondes qui ont abordé plus ou moins directement la question de la science et des pays en développement. Quelle que soit la voie suivie, la réflexion générale est nécessaire. TI ne faut pas oublier non plus que la sociologie de la science offre aujourd'hui des outils méthodologiques et conceptuels pour aborder les problèmes, plus concrètement, sur le terrain. Nous en reparlerons plus loin.